La Russie ira sur Mars via la Lune

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Les échecs des derniers mois n'ont pas stoppé le programme spatial russe, mais l'ont toutefois significativement modifié.

"Moins de fébrilité et plus de fiabilité", c'est ainsi qu'on pourrait formuler le nouveau paradigme. Sans pour autant renoncer à l'ambition d'explorer Mars, la Russie se concentrera dans les prochaines années sur les programmes lunaires.

La sonde Phobos sera relancée, mais pas tout de suite

"L'Académie des sciences estime qu'il faut répéter le programme Phobos-Grunt", a déclaré lors d'une conférence de presse à RIA Novosti Lev Zeleny, directeur de l'Institut de recherches spatiales de l'Académie des sciences de Russie.

L'incident de la sonde Phobos-Grunt en novembre 2011, devenu le thème numéro 1, même dans le contexte de "l'Année de l'Espace" (lorsque les fusées et les satellites tombaient régulièrement), a causé un grand préjudice à l'Agence spatiale russe Roskosmos et aux scientifiques.

Cependant, dès les premiers jours de l'échec de la sortie en orbite intermédiaire, lorsqu'on a compris que Phobos pourrait être définitivement perdu, on affirmait que l'épopée de Mars devait être répétée, mais différemment cette fois, après un développement minutieux de la plateforme.

La nouvelle tentative pour s'envoler pour Mars n'est pas pour tout de suite. Pour assurer le succès des études à venir de la Planète rouge, la Russie a décidé de suivre parallèlement deux chemins. Premièrement, participer au projet européen ExoMars, auquel les Américains viennent de renoncer. Deuxièmement, développer les technologies pour des missions spatiales lointaines en étudiant un corps céleste plus proche – la Lune.

Les missions Ressource et Globe changent de place

En raison de l'accident de la sonde Phobos, le programme russe de recherche lunaire a été profondément remanié. Hormis le report des délais (indépendant même de l'échec de Phobos en novembre), il a été décidé de revoir intégralement la procédure de lancement des appareils et leurs missions.

Il était prévu au départ (en 2013, selon le calendrier) d'envoyer vers l'astre de la nuit la mission Luna-Ressource avec un module indien, et la mission exclusivement russe Luna-Globe en 2014.

Les deux expéditions étaient destinées à étudier les régions polaires de la Lune, où au cours de la dernière décennie une découverte sensationnelle a été faite: on y a découvert des réserves d'eau gelée. Selon Lev Zeleny, à l'heure actuelle on estime que ces réserves d'eau sont le résultat de la chute de noyaux cométaires au cours des centaines de millions d'années.

Cette fois, on fera exactement l'inverse. Selon Lev Zeleny, en 2015, il est prévu d'organiser avec Luna-Globe une expédition consacrée au développement de la technologie d'atterrissage en douceur et du système de navigation. Les accents se sont déplacés après l'échec de Phobos-Grunt: les appareils lunaires utiliseront la même plateforme, et par conséquent il est nécessaire de mettre au point le matériel avant de le doter d'équipements scientifiques.

En 2016, il est prévu de lancer autour de la Lune un orbiteur de recherche (une sonde qui étudiera le satellite de la Terre en orbite autour de ce dernier). "Ce sera un engin puissant, le poids des équipements sera supérieur à 100 kg. […] On étudiera, en particulier, l'exosphère de la Lune, et on y fera des expériences astrophysiques. Il fonctionnera en interaction avec l'atterrisseur", a déclaré Lev Zeleny.

Et en 2017, selon Lev Zeleny, lorsque l'entreprise russe de construction de matériel spatial NPO Lavotchkine aura terminé la nouvelle plateforme, plus lourde, pour les sondes de recherche interplanétaires, une grande station scientifique, héritière de la sonde russo-indienne Luna-Ressource (peut-être également conjointe, des négociations sont en cours à ce sujet), atterrira sur la Lune.

La station lourde, en particulier, hormis le module lunaire, pourrait transporter un dispositif de forage pour des recherches en profondeur du sol lunaire. Mais ce n'est pas tant le sol (régolithe) qui présente de l'intérêt que les inclusions d'eau qu'il contient.

De plus, les échantillons de sol lunaire recueillis par les scientifiques après les missions Apollo et les stations interplanétaires automatiques soviétiques proviennent des latitudes moyennes du satellite de la Terre et n'ont aucun intérêt. "C'est une autre Lune, d'autres régions avec un sol différent; nous n'étudions pas le régolithe", a déclaré Lev Zeleny.

La stabilisation extérieure des plateformes

La science spatiale russe, de même que l'astronautique appliquée, souffre énormément de l'instabilité et du manque de fiabilité des moyens de mise en orbite et des plateformes de vaisseaux spatiaux, ainsi que des erreurs dans la planification et la mise en œuvre des lancements.

S'il est possible de traiter séparément le facteur humain, il faudra tout de même déboguer la partie technique – et pas seulement dans les essais au sol, mais également dans les tirs d'essai. Tout cela demande beaucoup d'argent et d'efforts supplémentaires, mais surtout du temps. Or, il est nécessaire de faire les recherches dès maintenant: les instituts académiques sont prêts à confier des tâches aux missions d'étude de l'espace lointain et à les doter d'équipements inédits. Alors comment faire?

Aussi étrange que cela puisse paraître, la chute du rideau de fer s'avère bénéfique. Le programme spatial russe s'inscrit régulièrement dans les projets internationaux: soit en fournissant des moyens de mise en orbite, soit en installant des équipements russes à bord de vaisseaux étrangers.

La mission Mars reportée ne fera pas exception. Le vol russe vers Mars est, de toute évidence, reporté jusqu'aux années 2030. Cependant, l'étude de Mars par la Russie pourra tout de même être poursuivie durant cette décennie.

En 2016 et en 2018 aura lieu l'expédition européenne ExoMars, à laquelle Moscou s'est jointe la semaine dernière pour remplacer les Américains, qui se sont retirés du projet.

Selon Vladimir Popovkine, directeur de Roskosmos, la Russie fait partie d'ExoMars à trois conditions: la fusée porteuse Proton pour le lancement de la mission sera considérée comme l'apport russe au projet, la partie russe fournira une partie des équipements scientifiques pour la sonde au lieu du matériel américain, et tous les résultats scientifiques seront la propriété intellectuelle aussi bien de l'Agence spatiale européenne que de l'Académie des sciences de Russie.

Sur la première sonde partant à destination de Mars en 2016, il est prévu d'installer une série d'équipements spectrométriques russes (y compris un spectromètre neutronique). De plus, comme l'a déclaré Lev Zeleny, la Russie est prête à fournir aux Européens une source d'alimentation radio-isotopique pour le module d'atterrissage, ce qui pourrait entraîner une modification des plans en termes d'utilisation dudit module.

Auparavant, il était prévu d'équiper le module d'une source d'alimentation chimique, ce qui limitait considérablement son applicabilité en tant que base de recherche (selon Lev Zeleny, la durée de vie de la capsule de descente ne dépassait pas quelques jours). Et le but principal du module était le développement de la technologie d'atterrissage en douceur sur Mars.

En utilisant la source isotopique russe, l'autonomie du module d'atterrissage sera largement supérieure, ce qui permettra de lui confier de longues missions de recherche (en particulier, il est prévu de le transformer en observatoire climatologique).

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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