La tension monte autour de l’Iran

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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L’année 2011 s’est terminée sur le thème iranien, et 2012 commence avec ce même thème.

L’article au titre frappant Time to Attack Iran: Why a Strike Is the Least Bad Option, paru dans le premier numéro du magazine Foreign Affairs, saute aux yeux. De manière symbolique il donne le ton de la nouvelle année. L’année 2011 s’est terminée sur le thème iranien, et 2012 commence avec ce même thème.

Suite à l’intention déclarée des pays occidentaux d'imposer un embargo sur le pétrole iranien, Téhéran a menacé de fermer le détroit d’Ormuz – artère cruciale du transport de pétrole. Les Etats-Unis ont averti qu’ils riposteraient par une opération militaire. La libre navigation maritime est l’un des piliers de la puissance mondiale des Etats-Unis, et Washington ne tolérera pas qu’on y porte atteinte. Tout le reste se superpose – on assiste à une guerre psychologique, où l’objectif des deux camps consiste à montrer leur aptitude à aller jusqu’au bout. Précisément dans l’espoir qu’il ne sera pas nécessaire de prendre des mesures extrêmes.

Pourquoi la situation s’est-elle aggravée précisément à l’heure actuelle? L’Iran a-t-il réellement progressé de manière significative dans son programme nucléaire? Pas vraiment. Téhéran se comporte de manière assez provocante, en annonçant par exemple le futur lancement d’un nouveau site destiné à produire de l’uranium enrichi. Mais même le secrétaire américain à la Défense Leon Panetta a récemment déclaré que, selon ses informations, l’Iran n’élaborait pas l'arme nucléaire, bien qu’il travaille sur l’obtention du potentiel ad hoc. En fait, comme l’année dernière dans le cas de la Libye, les militaires américains sont loin d’être dans les premiers rangs des partisans de la guerre. Leon Panetta estime que la pression économique et diplomatique exercée sur Téhéran est suffisamment efficace.

L’exacerbation de la tension est due au fait que pour la première fois depuis de longues années de discussions liées aux ambitions nucléaires iraniennes, deux thèmes se sont superposés: le thème global (la non-prolifération) et le thème régional (la confrontation des régimes sunnites des puissances arabes et de l’Iran chiite qui s’est accrue en raison du printemps arabe). Les Etats-Unis s’occupent avant tout du problème à l’échelle globale. Un Iran nucléaire infligerait un préjudice important à la notoriété de Washington, qui depuis quinze ans évoque le caractère inadmissible de la nucléarisation de Téhéran. Pour l’Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats Arabes Unis et d’autres monarchies arabes il est question de la domination régionale. L’anéantissement du régime de Saddam Hussein, principal contrepoids à l’influence iranienne, a conduit au renforcement accru de Téhéran après l’invasion américaine en 2003. Le printemps arabe permet de prendre une revanche: le régime de Bachar al-Assad, principal allié de l’Iran dans la région et sponsor du mouvement chiite Hezbollah au Liban, est menacé. Si le gouvernement syrien tombait, tout l’équilibre régional déjà déstabilisé changerait définitivement.

Pour les Etats-Unis, la situation est ambivalente. D’une part, pour reprendre les propos de Donald Rumsfeld, se forme la "coalition des volontaires" - les monarchies arabes, Israël et les Etats-Unis. Tous ont des raisons de vouloir clore la question iranienne. D’autre part, Washington risque d’être entraîné dans une intrigue régionale complexe visant l’Iran et où le ton serait donné par les puissances arabes, avant tout les riches monarchies du Golfe. Et il serait certainement inopportun pour les Etats-Unis de s’enliser dans les affaires iraniennes après l’annonce solennelle de Barack Obama de la fin d’une décennie de guerres.

Quelle est la position de la Russie? Traditionnellement, Moscou s’oppose à une pression trop forte, et qui plus est à des opérations militaires. L’approche de base de la Russie, qui n’a été abandonnée qu'une seule fois, dans le cas de la Libye, suggère qu’il est inadmissible de s’ingérer dans les affaires intérieures d'un autre pays, quel qu'il soit. D’autant plus que souvent le prétexte et le véritable objectif ne coïncident pas du tout (comme, par exemple, en Irak et en Libye).

Connaissant le style de la diplomatie iranienne, on pourrait supposer que la détermination ostensible de Téhéran sera suivie par une "offensive pacifique" avec des propositions adressées à la communauté internationale. Et les principaux destinataires seraient Moscou et Pékin. Ce ne serait pas la première fois que cela se produit. Cependant, il ne faut pas penser que dans tous les cas la Russie défendrait activement l’Iran. Ainsi, le ministère russe des Affaires étrangères a réagi avec beaucoup d’irritation à l’annonce de Téhéran concernant le lancement d’un nouveau site d’enrichissement d’uranium: on ne peut pas ignorer la volonté de la communauté internationale.

En faisant abstraction des considérations idéologiques, ainsi que des sympathies et des antipathies, une opération militaire contre l’Iran pourrait également être bénéfique pour la Russie. Elle ralentirait probablement l’Iran dans son processus d'obtention de l’arme nucléaire. Quant à Moscou, comme tout le monde, il ne veut pas d’un Iran nucléaire. Par ailleurs, le conflit ferait monter en flèche les prix de pétrole, ce qui serait profitable à la Russie, au moins dans une perspective à court terme. Enfin, les Etats-Unis pourraient s’enliser dans la situation iranienne, et par conséquent ils auraient bien moins de possibilités d’agir dans l’espace postsoviétique. Et plus les Etats-Unis rencontrent des difficultés en Eurasie centrale, plus ils dépendent de tels ou tels services de la Russie. C’est déjà évident en ce qui concerne l’Afghanistan et le transit des frets américains vers ce pays, et l’Iran pourrait faire de Moscou un partenaire encore plus irremplaçable.

Toutefois, pour l’instant il semble que Téhéran et Washington comprennent où se trouve la limite au-delà de laquelle les querelles rhétoriques dégénèrent en actions irréversibles. Bien qu’il soit inutile de prédire quoi que ce soit dans la situation d’incertitude totale qui règne dans le monde.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

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