La guerre russo-géorgienne de 2008, un tournant géopolitique

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Dmitri Medvedev a fait une intervention remarquée dans un discours devant les officiers de la région militaire Sud en début de semaine.

Dmitri Medvedev a fait une intervention remarquée dans un discours devant les officiers de la région militaire Sud en début de semaine. Evoquant la guerre russo-géorgienne d'août 2008, le président russe a ouvertement déclaré que "pour certains partenaires, y compris pour l’Otan", les opérations militaires en Géorgie étaient le signal indiquant "qu’avant de prendre une décision concernant l’expansion de l’Alliance, il [fallait] penser à la stabilité géopolitique."

En fait, c’est la première reconnaissance officielle du fait que le conflit avec la Géorgie n’était pas seulement associé à la "défense des compatriotes", comme cela avait toujours été affirmé, mais également à la nécessité de stopper le changement de situation stratégique le long de la frontière russe. Ce n’est pas par hasard si la Géorgie a été la première à réagir. Tbilissi a immédiatement déclaré que la Russie assumait la responsabilité du déclenchement de la guerre.

La question de savoir si le chef de l’Etat russe devait tenir de tels propos en public est discutable. Il faut reconnaître que Dmitri Medvedev n’a pas toujours fait preuve de tact dans ses déclarations sur le conflit en Ossétie du Sud. Après la guerre il a dit que la Russie avait une "zone d’intérêts privilégiés" qu’elle défendrait par tous les moyens. Ce qui a déclenché un tollé, car on y avait perçu une confirmation de l’aspiration éternelle de la Russie à l’expansionnisme, et on le rappelle encore au président. Il faut dire que, comprenant la maladresse de sa formulation, il ne l’a plus jamais répétée, et à même tenté de s’en dissocier. La déclaration actuelle est en partie du même ordre: l’honnêteté excessive et la franchise qui ne sont pas toujours les bienvenues dans la politique internationale. Vladimir Poutine a exactement la même particularité.

En fait, la Russie a montré à plusieurs reprises qu’elle n’arrivait pas à enrober ses actions de belles formules politiques. Pendant le conflit de 2008, Moscou semblait avoir utilisé le modèle occidental d’argumentation, lorsque les opérations militaires s'accompagnent d'une rhétorique humanitaire et sont montrées comme exemple d’intervention pour une noble cause. Cependant, Moscou est difficilement capable de tenir cette note, et au final les dessous géopolitiques remontent à la surface. D’autant plus qu’ils existent toujours, que ce soit dans les actions militaires russes ou d’autres pays.

En fait, Dmitri Medvedev a dit une chose évidente qui était déjà claire: la véritable cause de la guerre des cinq jours dans le Caucase en 2008 a été la tension accumulée pendant plusieurs années. Au milieu des années 2000, l’administration américaine s’est orientée sur l’expansion de l’Otan dans l’espace postsoviétique. L’Ukraine et la Géorgie étaient considérées comme des candidats, bien qu’elles n’en aient pas obtenu le statut officiel. Et les nombreux avertissements de Moscou indiquant que de telles actions seraient considérées comme le franchissement de la ligne rouge n’ont pas été pris au sérieux par les Etats-Unis et certains pays européens. Car même si la Russie s’est toujours opposée à l’extension de l’Alliance, elle s’y résignait en fin de compte. Les tentatives pour expliquer aux collègues que du point de vue de la Russie il existe une différence fondamentale entre, d’une part la Pologne et l’Estonie, et d’autre part l’Ukraine, n’étaient généralement pas couronnées de succès. Au final, la tension a tellement monté qu’il ne restait plus qu’à trouver un prétexte, qui a été fourni par le président géorgien Mikhaïl Saakachvili par son action visant à "rétablir l’ordre constitutionnel."

Avec du recul, il est clair que la guerre des cinq jours a marqué un grand tournant en dépit de son ampleur limitée.

C’était une revanche psychologique pour la Russie pour les reculs géopolitiques des 20 dernières années. La confirmation du fait que Moscou peut dire non. En d’autres termes, il a été dit aux Etats-Unis et leurs alliés: si Moscou déclare que c’est la ligne rouge, alors c’est bien la ligne rouge.

Le signal a été compris. Quels que soit les arguments des critiques des actions de la Russie et des partisans des théories à la mode, au XXIe siècle la force militaire demeure le principal argument politique, et l’aptitude à l’utiliser devient un facteur décisif . Objectivement parlant, l’armée russe n’a pas montré ses capacités exceptionnelles dans cette guerre (ce n’est pas par hasard si la réforme de l’armée a commencé littéralement deux mois plus tard). Mais il s’est avéré que la démonstration de force était suffisante pour confirmer et renforcer son statut. La Russie n’a pas été isolée (bien qu’elle ait découvert l’absence inquiétante d’alliés politiques), et depuis on ne parle plus d’expansion de l’Otan vers l’est.

Mais la guerre a eu un impact sur la Russie. Le sentiment de la revanche a rapidement cédé la place à la prise de conscience des capacités réelles et de leurs limites. Il était très important psychologiquement de fixer cette limite. Mais il est tout aussi important par la suite de redéfinir les buts et les objectifs. On peut dire que la guerre de 2008 a tiré le rideau sur l’époque postsoviétique de la politique étrangère de la Russie, lorsque Moscou était avant tout préoccupé par le problème du rétablissement de son statut et l’affirmation que la Russie n’a pas perdu sa place de grande puissance après l’effondrement de l’URSS. A partir de là a commencé l’élaboration progressive d’une nouvelle approche dont l’effondrement de l’ancienne superpuissance ne sera plus l’éternel point de référence.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction


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