Les troubles au Proche-Orient et en Afrique: la Russie devrait se tenir à l'écart

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Interview accordée à RIA Novosti par Evgueni Satanovsky, directeur de l’Institut du Proche-Orient

-Dans l’un de nos précédents entretiens, vous avez déclaré que les troubles ne se limiteraient pas aux pays du Proche-Orient et du Maghreb, et que la situation pourrait s’étendre à toute l’Afrique non arabe. Comment pouvez-vous expliquer vos conclusions?

-Je parlais de la situation non seulement en Afrique, mais sur le territoire des anciennes colonies britanniques et françaises dans leur ensemble. Par exemple, au Pakistan qui, avec ses quelques 110 têtes nucléaires, pourrait s’effondrer comme le Soudan, de même que cela pourrait se produire avec la Libye. La situation sur tout le territoire du continent africain est déterminée par le fait que les frontières des Etats sont celles des anciennes colonies, ces frontières d'Etats ne sont pas basées sur un équilibre ethnique et confessionnel, à l’exception du Botswana. Le Proche-Orient, comme l’Afrique, connaît une organisation tribale, mais si les tribus et les clans du Proche-Orient arabe ont connu un millénaire d’histoire étatique, en Afrique la situation est bien pire. Toute organisation étatique a été détruite par les colonisateurs, et les structures construites par la suite ont inclus pas mal de bombes à retardement. Rappelez-vous comment le Nigeria du Sud tentait de se séparer du Nord: le fait est que lorsque le Nigeria était formé, les habitants aussi bien du Nord que du Sud s’opposaient à la cohabitation dans un même Etat. Rien ne les unit, c’est un territoire de guerre où vivent les uns et les autres. Et c’est le cas de la Tanzanie, du Kenya, de la Tunisie, de l’Egypte et de la Lybie. La Somalie s’est de facto effondrée, et le plus grand camp de réfugiés se trouve sur le territoire du Kenya où il y a plus de 100.000 Somaliens. Tout cela est une bombe à retardement. Cela exerce un certain effet cumulatif sur toute l’Afrique centrale. Le nouveau traité des six pays en amont du Nil sur le nouvel équilibre de l’utilisation des eaux du Nil est une raison parfaitement logique pour le déclenchement d’une grande guerre panafricaine. La première guerre mondiale en Afrique a déjà eu lieu, plus de dix pays du bassin du Congo se sont affrontés. Le monde ne l’a tout simplement pas remarqué. Les prochaines guerres africaines sont proches, l’effondrement du Soudan a donné le signal que les frontières coloniales ne sont plus légitimes, et la situation en Egypte, en Libye et en Tunisie a donné un signal encore plus fort. Les dirigeants locaux qui sont là depuis des décennies pourraient être renversés. La boîte de Pandore est ouverte, et on verra ce qui va en sortir.

-Vous croyez qu’elle a été réellement ouverte par les révolutions populaires? On parle de deux théories. Selon la première, cela est profitable à quelqu’un. Selon la seconde, c’est le résultat de la politique menée par l’ex-président américain George W. Bush.

-Chaque révolution est populaire car une grande foule doit se mobiliser pour renverser quelqu’un. Mais quelle révolution a jamais commencé sans une influence étrangère? La Révolution française, comme on le supposait à Paris, avait été inspirée par la Grande-Bretagne, et cent ans auparavant, Londres était conscient que Charles I avait été renversé à l’instigation des Français. Tous agissent contre tous, et pas toujours contre les ennemis, mais également contre les alliés et les protecteurs. Regardez ce qui se passe dans l’Orient arabe. Al Jazeera cherche à faire basculer la situation en faveur de l’émir du Qatar qui a ses propres préférences et ennemis. Al Arabiya travaille pour l’Arabie saoudite et les Frères musulmans. Il y a des réseaux qui travaillent pour des dizaines et des centaines d’organisations de protection des droits de l’homme, des fonds, des personnes comme George Soros ou le site Wikileaks: tout ceux qui travaillaient contre l’URSS au départ. Après l’effondrement de l’URSS, il leur fallait trouver une nouvelle raison d’être, et certains se sont tournés vers l’altermondialisme, d’autres vers la protection des droits de l’homme et la démocratie, et ils ne se sont pas seulement tournés contre Israël et les Etats-Unis, mais également contre les dictatures en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient. Et tout cela a eu un effet destructeur colossal. Ajoutez à cela les efforts de l’Iran, qui a des intérêts non seulement dans l’Orient arabe mais dans l'ensemble de l'Afrique. Et n’oubliez pas la pression des puissances européennes, des Etats-Unis, de la Turquie, de l’Iran, des islamistes et de certains régimes du monde arabe. Tout cela conduit à une situation où tous agissent contre tous. Par conséquent, si le régime est faible, comme en Tunisie, en Egypte et en Libye, il s’avère que c’est un colosse aux pieds d’argile et il peut être renversé.

-A votre avis, que devrait faire Moscou dans cette situation? On ignore comment tout cela pourrait se terminer, et on risquerait de ne pas y intervenir à temps et perdre toute influence.

-Je serais ravi si la Russie n’intervenait pas à temps et perdait toute influence. Aujourd’hui, beaucoup de groupes lobbyistes exigent l’annulation du statut de terroriste du mouvement des Frères musulmans, qui pourrait prochainement arriver au pouvoir dans plusieurs pays. Nous savons que Jimmy Carter disait que Khamenei est un homme bon et qu’on peut s’entendre, et nous savons comment Carter s’est entendu avec lui. Bien sûr, ils sont bons, mais il s’agit de savoir pour qui. En établissant un califat, ils seront évidemment bons. Certains se souviennent de l’époque soviétique et appellent déjà à les submerger d’argent, comme à une certaine époque. Il conviendrait de rappeler que la dette, que personne n’a remboursée à l’URSS, s’élevait à 160 milliards de dollars. Or, la dette étrangère russe atteignait 140 milliards de dollars au maximum. En réalité, l’URSS aurait pu rester dans le bénéfice, avec 30 milliards de dollars de plus Mikhaïl Gorbatchev aurait pu éviter la mise en faillite de son pays. La Bulgarie, qui n’existe sur la carte que grâce à la mort des milliers de soldats russes dans les guerres contre la Turquie, a combattu contre la Russie pendant les deux guerres mondiales. La Russie s’est inutilement ingérée dans la Première guerre mondiale et le pays a été perdu. La Russie s’est ruinée parce qu’elle distribuait des milliards de dollars sans réfléchir, en entrant en conflit avec tout le monde aux cours des expériences soviétiques de la seconde moitié du XXe siècle, lorsque l’URSS est intervenue dans la guerre civile afghane, sous prétexte de soutenir la classe ouvrière d’Afghanistan. Et on ignore toujours pourquoi la Russie est allée en Afghanistan. On sait seulement qu’elle y a été entraînée par le politicien américain antirusse Zbigniew Brzezinski. La Russie va-t-elle une fois de plus commettre les mêmes erreurs? Elle devrait probablement imiter la Chine qui construit des routes et des chemins de fer sur son territoire et qui ne va au Proche-Orient et en Afrique qu’à la recherche des matières premières, et pour qui l’influence signifie l’extraction de tout ce qu’il est possible d’extraire, implacablement et cyniquement. Et personne n’a encore accusé la Chine de ne pas savoir ce qu’elle veut. C’est le cas également de la Turquie et de l’Iran. Si les intérêts de la Russie exigeaient sa présence dans cette région qui est un véritable sac d'embrouilles, il faut le faire. Sinon, il ne faut rien faire. Il ne faut surtout pas y aller dans le seul but d’agacer les Américains. Il ne faut pas y aller en suivant les Français qui réduisent, en fait, leur présence partout dans le monde, y compris à Djibouti, pour des raisons financières. Beaucoup de régions russes en Sibérie et en Extrême-Orient ont un niveau de vie inférieur aux pays que la Russie tentera d’aider. Comparons le niveau de vie et l’espérance de vie en Russie et dans la pauvre Bande de Gaza, où l’espérance de vie des hommes dépasse de dix ans celle des Russes.

-Et qu’en est-il des autres pays, par exemple des pays membres de l’OTAN? Si vos macabres prévisions se réalisaient, toute l’Afrique serait embrasée. L’OTAN et l’ONU vont y envoyer des troupes, mener des opérations, et la Russie restera les bras croisés à observer?

-L’URSS n’a participé qu’à une seule opération conjointe avec les troupes de l’OTAN en Somalie à la fin des années 1970, au cours d’une révolution. A l’époque, à côté des bérets verts américains et des nageurs de combats français, travaillaient les forces spéciales du Haut commandement de renseignement (GRU) de l’Etat-major général soviétique. Elles étaient chargées d’évacuer toutes les personnes de race blanche. Peu importe leur nationalité, Européens, Chinois, Russes ou Américains. Ils se faisaient tous massacrer en Somalie parce qu’ils n’étaient pas locaux. Cette opération était légitime et logique: on sauvait des concitoyens. Tout le reste ne peut nous faire que du mal. Il ne faut pas détruire son propre pays pour des illusions insensées de la folie impériale. Car l’OTAN, comme le montre aujourd’hui l’équilibre des forces en Afghanistan et en Irak, n’est pas une force militaire capable de combattre au Proche et au Moyen-Orient, et encore moins en Afrique. Les Américains sont capables de faire la guerre, un peu les Anglais, les forces spéciales canadiennes, australiennes et néo-zélandaises ont effectué quelques opérations. Oublions l’OTAN en tant que force importante avec un matériel de pointe capable de combattre dans le tiers monde. La Bundeswehr n’est pas la Wehrmacht, en Afghanistan elle mène une opération humanitaire; la dernière fois que l’armée italienne a combattu dignement au Proche-Orient date de 2000 ans, à l’époque de Jules César. Or, la Russie a ses propres problèmes dans le Caucase du Nord, elle aura de graves problèmes sur la frontière avec l’Asie centrale en raison du trafic des stupéfiants en provenance d’Afghanistan. Heureusement, les millions de réfugiés qui partiront d’Afrique et du Proche-Orient en Europe occidentale ne passeront pas par la Russie. Et on ignore ce que l’Europe compte en faire. La Russie est constamment appelée à aller en Libye, dans le golfe Persique, à envoyer des troupes en Afghanistan: à aider l’OTAN. L’Alliance serait ravie de voir la Russie en Afrique, mais je ne pense pas que cela soit utile pour Moscou. S’impliquer dans une guerre serait un plaisir douteux pour la Russie.

Propos recueillis par Samir Chakhbaz

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