Où en est l'opposition russe?

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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L'opposition russe est un ensemble hétérogène qui prête à confusion. Elle peut être divisée en deux blocs: les groupes représentés au parlement et l'opposition "libérale" hors-système.

L'opposition russe est un ensemble hétérogène qui prête à confusion. Elle peut être divisée en deux blocs: les groupes représentés au parlement et l'opposition "libérale" hors-système. Où en sont ces mouvements au lendemain de la crise mondiale? Quelles sont leurs relations avec cette troisième force qu'est la récente poussée nationaliste?

Pas si "loyale" que ça

Intégrée au système politique, l'opposition représentée au parlement est parfois qualifiée de "loyale". Elle est composée de trois partis. Fort de sa légitimité historique, le Parti communiste (KPRF) est certainement le plus indépendant et le plus protestataire. Il bénéficie d'un important poids politique (57 sièges à la Douma). L'héritage soviétique est également un fardeau qui l'empêche d'atteindre à nouveau le pouvoir, un nombre important de Russes l'associant au passé.

Vient ensuite le Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR, 40 sièges), dirigé par le charismatique Vladimir Jirinovski. Homme d'affaires, showman, il est resté célèbre pour ses déclarations xénophobes dans les années 1990. Son  parti, dont le mot d'ordre pourrait être résumé par la formule "les Russes d'abord", vise principalement à canaliser les tendances nationalistes, arrangeant ainsi le pouvoir qui souhaite les maintenir sous contrôle. La vague de troubles qui a éclaté en décembre 2010 semble toutefois indiquer que les nationalistes se regroupent au sein de mouvements "hors-systèmes", comme le DPNI (Mouvement contre l'immigration clandestine). Le LDPR a proposé suite aux émeutes de modifier la constitution en remplaçant "peuple multinational de la Fédération de Russie" par "le peuple russe et les autres peuples de Russie".

La troïka de l'opposition "loyale" est close par Russie juste (38 sièges), dirigé par Sergueï Mironov, le président du sénat. RJ est issu de la fusion de trois partis. Le plus influent, Rodina, se définissait comme "nationaliste de gauche" et était conduit par Dmitri Rogozine, l'actuel représentant de la Russie auprès de l'OTAN. Au faîte de sa popularité, Rodina était la deuxième force politique du pays. Entré dans une opposition systématique au pouvoir,  le parti a été attaqué en justice avant les élections à la Douma de Moscou de 2005 pour un spot de campagne incitant à la haine raciale par…. le LDPR, ce qui lui avait valu l'exclusion des élections. Une anecdote qui montre à quel point la lutte pour l'électorat nationaliste structure la vie politique du pays.

RJ a longtemps été soupçonné d'incarner une opposition purement formelle, voire aux ordres d'un Kremlin souhaitant donner l'image du pluralisme. Le parti a un temps songé jouer le rôle de deuxième pôle d'un bipartisme russe en gestation, sans succès. L'éventuelle adhésion de Medvedev à Russie juste n'a pas dépassé le stade de la rumeur, et le parti n'est pas parvenu à concentrer l'opposition au parti de Poutine.

L'opposition "loyale" coopère avec le pouvoir et est acquise au principe de stabilité de l'Etat, ce qui empêche une contestation trop radicale. Les partis l'ont montré en mettant en sourdine leurs divisions pendant la crise économique, même si le consensus a été écorné à plusieurs reprises. Un bras de fer a notamment éclaté suite aux élections locales d'octobre 2009: les trois forces d’opposition ont quitté le parlement pour protester contre les fraudes massives, un geste inédit. Une fronde embarrassante pour Russie unie, laissée seule face à son hégémonie.

Le turbulent Sergueï Mironov, président de Russie juste, a en outre régulièrement joué le conflit avec Russie unie, s'attirant des remontrances et même des menaces. En pleine crise, il avait critiqué la politique économique de Poutine, et exigé la démission de plusieurs ministres. Russie unie avait rétorqué en menaçant de lui ôter la présidence du conseil de la Fédération. Il a récemment fait parler de lui en envisageant une fusion entre le Parti communiste et Russie juste. Une alliance qui tiendrait plus de la pure stratégie que d'une convergence idéologique.

Une opposition "libérale" en ordre dispersé

L'opposition dite "libérale" est menée par une cohorte de leaders mêlant hommes politiques et défenseurs des droits de l'homme. A défaut de représentation politique, l'opposition libérale est contrainte de s'exprimer dans la rue, lors de manifestations qui n'ont été autorisées que récemment. Les plus célèbres sont les meetings organisés par l'opposition chaque 31 du mois, en référence à l'article 31 de la constitution garantissant la liberté de réunion. Bien qu'autorisées, les manifestations sont très encadrées: un des leaders du mouvement, Boris Nemtsov, était récemment arrêté par la police et condamné à 15 jours de prison pour avoir poussé les manifestants à se rendre sur la chaussée, arrestation immédiatement dénoncée par l'occident.

Le mouvement dit « du 31 » n'a rien d'homogène, comme le démontrait le premier meeting autorisé en octobre 2010. Une querelle entre Lioudmila Alekseïeva, figure russe de la défense des droits de l'homme, et Edouard Limonov, ex-leader du « Parti national-bolchévique » aboutissait alors sur un schisme et l'organisation de deux meetings distincts.

L'opposition tente pourtant tant bien que mal de s'unir: trois mouvements de l'opposition libérale annonçaient fin 2008 la création d'un parti unitaire, "Pravoïé delo" (Une cause juste). Le plus connu est SPS (Union des forces de droite), de feu Egor Gaïdar. Pendant ce temps, quatre autre ténors issus des années 1990 (l’ancien premier ministre Mikhaïl Kassianov, l’ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov, l’ancien chef de la fraction "La Russie, notre maison" de la Douma Vladimir Ryjkov et l’ancien responsable de Iabloko Ilia Iachine) promettaient eux aussi la création d'une coalition d'opposition.

Autre fait marquant: la présence du parti libéral Iabloko aux côtés du Mouvement contre l'immigration illégale lors d’une marche organisée le 14 janvier 2011 pour les quarante jours (deuil orthodoxe) de la mort d'Egor Sviridov, un supporter du Spartak tué lors d'une rixe avec des Caucasiens, ce qui avait déclenché une vague d'émeutes nationalistes s. Cette étrange convergence n'a pas tardé à susciter de nombreuses questions concernant la stratégie libérale: s'agit-il de canaliser les "opposants" sans regarder sur l'idéologie, ou de tenter de rallier les nationalistes?

L’opposition libérale, extrêmement hétérogène, a beau jeu de dénoncer les coups bas du pouvoir: son incapacité à parler d’une seule voix, ses multiples leaders, et l’absence de ligne politique claire sont incapables de canaliser le mécontentement, bien réel, de la population russe. L’opposition « loyale », timorée, n’incarne aucune concurrence politique solide. Dans ce contexte, les Russes semblent plus enclins à miser sur une opposition entre Poutine et Medvedev, ou sur la capacité de réforme d'une équipe dirigeante qui a fait ses preuves.

Une absence de concurrence politique qui au final limite l'ambition du pouvoir à mener les réformes nécessaires au pays.

 

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