Kazan, épicentre du phénomène tatar (reportage)

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Kazan est la capitale de la République des Tatars, ce peuple turbulent dont le joug a pesé sur la Russie depuis la prise de Riazan en 1237 jusqu’à la fin du XVe siècle. Son Kremlin inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco héberge la mosquée Kul Sharif et la cathédrale orthodoxe de l’Annonciation.

Kazan est la capitale de la République des Tatars, ce peuple turbulent dont le joug a pesé sur la Russie depuis la prise de Riazan en 1237 jusqu’à la fin du XVe siècle. Construit par Ivan le Terrible, son Kremlin inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco héberge côte-à-côte la mosquée Kul Sharif et la cathédrale orthodoxe de l’Annonciation.

Cette cohabitation est le symbole puissant de la rencontre de deux cultures. Entente silencieuse toutefois, car le muezzin n’appelle pas à la prière depuis les minarets, et aucune cloche ne résonne des hauteurs de la citadelle. Un modèle de laïcité à la tatare?

Energie tatare

Située à 720 km de Moscou, Kazan est une dynamique ville de 1,2 million d’habitants qui a fêté en 2005 ses mille ans d’histoire, occasion d’une reconstruction en profondeur. La ville accueillera en 2013 les Jeux universitaires d’été (Universiade), mise en bouche avant les Jeux olympiques de Sotchi. Loin d’être complexée par son statut de « sujet » de la Fédération, la République du Tatarstan jouit d’une réelle autonomie. Elle n’hésite pas à représenter la Russie à l’étranger (Hillary Clinton y a récemment effectué une visite), voire à rivaliser en prestige avec Moscou.

Le fécond creuset qu’est le Tatarstan a produit des personnalités telles que le célèbre chanteur d’opéra Fedor Chaliapine, sans oublier des acteurs aussi populaires dans toute la Russie que Marat Bacharov et Tchoulpan Khamatova, et des sportifs tels que Dinara et Marat Safin. Certains spécialistes russes reconnaissent que Tolstoï serait presque autant lié à Kazan, où il étudia, qu’à Krasnaïa Poliana dont il était natif. Anna Akhmatova, éminente poétesse russe, a choisi son pseudonyme en hommage à sa grand-mère tatare. Elle a notamment participé à la traduction des œuvres de Gabdoulla Toukaï, le « Pouchkine tatar ».

Si la Russie constitue un trait d’union entre occident et orient, ce métissage est particulièrement palpable à Kazan, estime la romancière Danièle Sallenave, passagère du « transsibérien des écrivains » parcourant la Russie jusqu’à Vladivostok.
Outre l’évident voisinage des religions, les styles architecturaux européens (art nouveau, art déco) s’y cotoient avec hardiesse, en harmonie avec les tendances islamiques et orientales.

Concorde sur la Volga
Si les populations russes et tatares sont imbriquées et les familles souvent métissées, les communautés restent attachées à leur religion.
La décision de Jean-Paul II de restituer à la ville l’icône de la Sainte mère de Dieu avait provoqué un certain émoi parmi la population musulmane. Ceci n’a pas dissuadé les autorités de rendre à Kazan ce joyau du patrimoine orthodoxe.

L’onde de choc du conflit tchétchène ainsi que l’influence de l’Arabie saoudite, qui a financé la reconstruction de la mosquée Kul Sharif, auraient pu déstabiliser cette région au sein de laquelle la population tatare est légèrement majoritaire: 43% de Tatares, 38% de Russes et 115 nationalités. 
La relative richesse du Tatarstan, due notamment à ses importantes réserves en hydrocarbures, a toutefois permis de maintenir l’indépendance politique de la république vis-à-vis de l’étranger.

En flânant dans les rues de cette ville, on constate que le voile intégral est absent, et le tchador rare. « Les musulmans invitent les orthodoxes à fêter Kourban Baïran (Aïd el-Kébir) et les Tatars vont manger chez leurs voisins pour Pâques », assure Tchoulpan, qui réside à Kazan.
La principale fête populaire de la république, le Sabantouy, est une célébration païenne qui rassemble toutes les confessions.

A l’heure du débat européen sur le rôle de l’islam, on observe avec fascination un discret modèle de tolérance tatare, forgé au cours des siècles.
Une relative sagesse politique y a contribué: depuis la chute de l’URSS, aucun dirigeant russe ou tatar n’a cherché, à l’instar de l’ex-Yougoslavie, à jouer sur le repli identitaire en faisant du creuset une poudrière. Ceci est tout à l’honneur de l’ancien président Mintimer Chaïmiev qui plaidait pour un « islam européen » au Tatarstan.

Une promenade sur la Volga rappellera pourtant que Kazan a toujours été au centre d’une lutte intense et impitoyable: dès Ivan le Terrible, ce point de passage essentiel vers la Sibérie a été attaqué. L’île de Sviajsk abrite une forteresse, tête de pont de l’offensive contre le khanat, qui tombe en 1552. S’en suit un processus de christianisation des populations locales.

Depuis cette île parsemée d’églises, on peine à se rappeler que ce n’est pas la mer, mais bien un fleuve immense que l’on contemple. Et en scrutant ses rives, le regard peut être attiré par un site inhabituel; ici, mosquée, église, synagogue, pagode et temple hindouiste se côtoient. C’est le « temple de toutes les religions », bâti par un écrivain musulman après une vision de Jésus.

Dominique Fernandez, romancier et membre de l’Académie française, constate que le folklore du Tatarstan reste dynamique et fédérateur: les danses et les chants unissent le peuple, depuis le passé chamanique jusqu’au monde actuel. Force de groupe qui semble avoir déserté l’Occident et persiste à envoûter les rives de la Volga. Pour M. Fernandez, la meilleure incarnation de cette « énergie tatare » n’est autre que le danseur natif de Kazan Rudolf Noureev qui selon lui a sauvé le ballet de Paris.

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