La Russie assise sur un stock d'uranium

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Par Sergueï Goloubtchikov, pour RIA Novosti
Par Sergueï Goloubtchikov, pour RIA Novosti

Un traité a été signé à Erevan le 22 avril, portant création d'une coentreprise russo-arménienne pour la prospection et l'extraction d'uranium et autres minerais sur le territoire de la République d'Arménie. Cette entreprise, à participation égalitaire, sera enregistrée dans un délai de trois mois.

L'accord a été signé, pour la partie russe, par Vadim Jivov, directeur général du holding de l'uranium Atomredmetzoloto (ARMZ) et, pour l'autre partie, par Aram Aroutiounian, ministre arménien de l'Environnement. ARMZ gère tous les actifs russes en matière d'extraction de l'uranium, et réalise en outre une série de projets au Kazakhstan. Il se situe aujourd'hui au deuxième rang dans le monde pour les réserves d'uranium. C'est là l'effet de la restructuration du secteur nucléaire, et en particulier de la consolidation des entreprises spécialisées, rassemblées dans un seul consortium d'Etat.

La Russie, qui a misé sur le nucléaire, conçoit son "projet uranium" dans une perspective de garanties absolues de réussite dans un secteur où l'uranium est le produit de base.

La désintégration de l'Union soviétique a privé la Russie de nombreux gisements d'uranium, qui avaient été décelés avec un degré élevé de probabilité mais qui se sont retrouvés à l'étranger, essentiellement dans les républiques d'Asie centrale (Tadjikistan, Kazakhstan, Kirghizstan et Ouzbékistan). La Russie, quant à elle, possède pour l'instant un seul secteur uranifère: il est situé dans la région de Tchita, où fonctionne le combinat minier Streltsovski. Les réserves totales du champ minier exploité sont estimées à 150.000 tonnes. 70.000 tonnes de minerai supplémentaires ont été découvertes dans d'autres régions de Sibérie orientale. Au total, les ressources nationales prouvées d'uranium se montent à 615.000 tonnes. Ce chiffre inclut le plus gros des gisements russes récemment prospectés: il s'agit de celui d'Elkon (344.000 tonnes), situé dans le nord de la république de Iakoutie-Sakha.

L'exploitation des champs d'uranium russes revient chère en équipements. Ainsi, le gisement d'Aldan, principale source potentielle d'uranium, ne peut être exploité qu'à l'aide de puits. Le minerai est situé en profondeur, à 300 mètres, ce qui rend l'extraction non rentable. A l'époque de l'autoritarisme, ce n'était pas un problème: l'uranium du Nord était extrait gratuitement, par les détenus, notamment les détenus politiques. Dans la Tchoukotka, par exemple, ce sont eux qui ont extrait la matière destinée aux premières bombes atomiques. L'extraction de l'uranium dans les puits du Nord a cessé avec la fermeture des camps de prisonniers.

Il faut maintenant trouver le moyen d'exploiter, sous une forme économiquement rationnelle, les puits mis en sommeil. Les cours mondiaux de l'uranium augmentent: ils ont doublé en trois ans, ce qui n'a rien d'étonnant. Un centimètre cube d'uranium équivaut, en énergie produite, à 60.000 litres d'essence, 110-160 tonnes de charbon ou près de 60.000 mètres cubes de gaz naturel. Sa concentration extrême rend son transport aisé et peu coûteux. La part du prix du combustible dans le coût total de l'électricité produite est, en outre, relativement faible. Si bien que même une nette augmentation des prix de l'uranium combustible n'a qu'un faible impact sur le coût de l'électricité produite dans les centrales nucléaires (à titre d'exemple, ce coût n'a été majoré que de 7% depuis 1997).

Si l'on se base sur les volumes d'uranium actuellement extraits par la Russie - plus de 3.400 tonnes par an - les réserves sont suffisantes pour tenir un demi-siècle. Quel sera le développement du nucléaire russe en cas d'épuisement des réserves prospectées? Deux voies sont possibles. La première: trouver d'autres moyens d'alimenter en combustible le nucléaire civil. L'un d'eux consiste à passer aux réacteurs à neutrons rapides, qui ont pour avantages une consommation d'énergie modérée et une consommation de combustible basse. L'uranium provenant de gisements pauvres, faiblement enrichi, convient parfaitement aux réacteurs "rapides". L'autre voie possible consiste à réutiliser le combustible nucléaire et, plus précisément, le plutonium extrait de l'uranium brûlé dans les réacteurs nucléaires.

La Russie occupe une place importante sur le marché mondial de l'uranium, qui est très prometteur; sa part pourrait croître au fur et à mesure de la mise en exploitation de nouveaux gisements en Sibérie orientale. La Russie peut également se procurer de façon stable du minerai à l'étranger, en l'achetant à des pays qui ne possèdent ni leur propre nucléaire civil, ni les technologies d'enrichissement de l'uranium. La Russie possède déjà 49% de l'entreprise russo-kazakhe Zaretchnoïe, qui exploite un gisement dont les réserves d'uranium se montent à 19.000 tonnes.

En 2007, l'Australie, qui possède les plus grands gisements d'uranium au monde, est devenue partenaire de la Russie. Les leaders des deux Etats, le président Vladimir Poutine et le premier ministre John Howard ont signé à Sydney un accord en vertu duquel la Russie pourra recevoir de l'uranium australien pour les besoins de son énergie nucléaire, pour l'équivalent d'un million de dollars chaque année. Ce document entrera en vigueur après ratification par les parlements des deux pays.

A terme, la Mongolie pourrait occuper une place importante dans le secteur russe de la coopération internationale en matière d'uranium. En théorie, ce pays est le premier au monde pour les réserves d'uranium, il ne reste plus qu'à les mettre en valeur.

Dans l'ensemble, les réserves potentielles d'uranium (naturel et militaire) de la Russie lui permettront d'occuper à l'horizon 2030 45% du marché mondial des services d'enrichissement de l'uranium et 20-25% du marché mondial de la construction de centrales nucléaires. En cas de recours aux technologies du cycle nucléaire fermé (réacteurs à neutrons rapides), les ressources en matières nucléaires pourront assurer les besoins énergétiques prévisibles du monde pendant mille ans.

Sergueï Goloubtchikov enseigne à l'Université d'Etat des sciences sociales de Russie.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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