La Conférence de Munich sur la politique de sécurité, l'antipode des Accords de Munich

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti
Par Piotr Romanov, RIA Novosti

L'intervention du président russe Vladimir Poutine à la récente Conférence de Munich sur la politique de sécurité restera dans les annales. Or, beaucoup l'ont déjà comparée au célèbre discours que Winston Churchill avait autrefois prononcé à Fulton et qui avait marqué, estime-t-on, le début de la "guerre froide".

Cette comparaison avec Fulton est évidemment exagérée, mais il n'en est pas moins vrai que le discours de Vladimir Poutine à Munich a été une vraie douche froide pour les hommes politiques en Occident. Tout à fait correct dans sa forme, ce discours a dressé en quelque sorte un bilan impitoyable de toute la période assez longue des relations entre la Russie, provisoirement affaiblie à l'issue de la disparition de l'Union Soviétique, d'une part, et l'Occident, de l'autre. Somme toute, dans son intervention, Vladimir Poutine a résumé les promesses que l'Occident avait données à Moscou ces dernières années sans les respecter pour autant. Le président russe a aussi démontré l'illégalité du rapprochement des troupes de l'OTAN des frontières de la Russie et signalé la perversité d'un monde unipolaire avec "Washington pour centre de direction", qui imposerait ses lois intérieures et sa propre vision du monde à l'ensemble de la communauté internationale, ce qui provoque souvent un mécontentement tout à fait naturel. L'orateur a cité des faits concrets et convaincants. Inutile de les répéter, on trouve facilement sur l'Internet l'intégralité du discours munichois de Vladimir Poutine. Qui plus est, il est abondamment cité dans les médias.

Dans une certaine mesure, cette nouvelle conférence de Munich est l'antipode d'une autre conférence qui a eu lieu elle aussi à Munich, celle de l'époque de Chamberlain, symbole de faiblesses et de concessions politiques. Cette fois, à Munich, par la bouche de son président, la Russie a déclaré haut et fort sa ferme intention de ne plus céder aux pressions de l'Occident et de pratiquer à l'avenir sa propre politique intérieure et extérieure indépendante. Et pour ce qui est du rapprochement illégal de ses frontières, la Russie y répondra de manière asymétrique, mais tout à fait adéquate. Quant aux allégations selon lesquelles toutes ces démarches ne tendraient qu'à garantir la sécurité de l'Europe face aux Etats voyous, ce n'est que du bluff, et il suffit pour s'en convaincre de consulter la carte géographique. Où se trouvent, en effet, l'Iran et la Corée du Nord, et où sont la République tchèque et la Pologne? La Russie ne dépensera pas ses forces et ses moyens dans la mise en place d'une ABM onéreuse et, en attendant, peu fiable. Pourtant, elle peut toujours contrebalancer la situation, en créant, par exemple, des forces supplémentaires, capables de contourner le parapluie antimissiles de l'Occident. Et ce n'est pas de la vantardise, loin de là! Aussi, l'Europe n'a-t-elle rien à y gagner.

Néanmoins, il y a aussi des questions à poser à Moscou. Pour en comprendre le pourquoi, il suffit de regarder plus attentivement le "champ après la bataille".

D'une part, nul ne pourra contester sérieusement les griefs tout à fait concrets de la Russie, car toutes les promesses, données par l'Occident après l'effondrement de l'URSS, la chute du Mur de Berlin et la liquidation de l'Organisation du Traité de Varsovie n'ont jamais été tenues. Nul ne contestera, non plus, que l'actuelle administration américaine essaie d'écraser de tout son poids et de toute sa puissance tout et tout le monde. De l'autre, pas un seul politique réaliste en Occident, et tout particulièrement en Europe, n'a intérêt à ranimer même un semblant de "guerre froide", les intérêts du business russe et de celui de l'Occident étant d'ores et déjà trop étroitement liés entre eux. Seulement, l'Occident voudrait voir une "autre" Russie.

Par ailleurs, on s'aperçoit que malgré les retentissements en Occident du discours de Vladimir Poutine, ses paroles sont pratiquement tombées dans le vide, car les politiques occidentaux ne s'intéressent, en règle générale, que très peu à leurs propres péchés, ils ne les connaissent que trop bien, et même beaucoup mieux que Moscou. Quant aux insuffisances de la Russie elle-même, le rapporteur n'en a pas soufflé mot. Pourtant, l'assistance attendait justement qu'elles fussent évoquées. En fait, on a assisté à une sorte de dialogue des sourds.

Pire. Ce discours de Munich n'a fait qu'aggraver l'irritation et la méfiance à l'égard de la Russie sans que l'Occident procède pour autant à son autocritique, ce que l'orateur avait sans doute espéré. Par contre, les politiques occidentaux ont estimé que tout ce qui avait été fait par le passé (soit le mensonge) était bon.

Mais un autre point est aussi à signaler. Evidemment, quand le secrétaire américain à la Défense met la Russie sur le même plan que la Corée du Nord, cela ressemble fort, du moins à première vue, à une forme de délire. Néanmoins, on peut le percevoir autrement. En commentant les propos de Robert Gates, la célèbre militante russe des droits de l'homme Lioudmila Alexeïeva, qui ne se distingue ni par le fanatisme ni par un radicalisme excessif, a fait remarquer que la Russie d'aujourd'hui ne ressemblait pas à la Corée du Nord. Certes, il n'y a pas aujourd'hui de régime totalitaire sur le sol russe. Cependant, a-t-elle relevé, Robert Gates y a bien senti certaines tendances alarmantes.

De quoi s'agit-il au juste? Tout en se renforçant économiquement depuis ces dernières années, en rétablissant son potentiel scientifique et militaire et en accomplissant avec succès toute une série d'autres tâches d'importance vitale, la Russie progresse cependant trop lentement dans la voie de la démocratie, et même dans certains cas, elle a enregistré un certain recul, notamment dans sa législation électorale.

C'est pour cela notamment que le spectre de l'incertitude à l'égard de la Russie refait de nouveau surface en Occident. Et l'incertitude ne manque pas d'attiser les craintes.

Pour ce qui est de l'Occident, qu'il tire lui-même des conclusions qui s'imposent, mais pour la Russie, les recommandations sont suffisamment évidentes. Il est nécessaire de renforcer les frontières et l'armée. C'est incontestable. Mais une "deuxième vague de démocratisation", confirmant les progrès déjà enregistrés, corrigeant les erreurs commises et relançant le processus ne serait pas inutile au pays.

Le dialogue entre le Kremlin et l'Occident serait alors plus aisé, et la vie des Russes facilitée.

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